Les rubalises* frémissent sous les petites rafales de vent.
Elles virevoltent mais restent là, s'accrochent entre elles.
La fréquence et l'intensité de la rafale qui les secoue donnent à leur sonorité éphémère une couleur chatoyante, une durée intense.
Elles chantent parfois, crient, vrillent et leurs soupirs lancinants font suspendre instantanément tous les soubresauts humains environnants.
Les barrières semi- grillagées tremblotent en canon sans chavirer. Nombreuses, alignées. Envahissantes. Changeantes.
Le temps s'est posé là, un instant,
le ciel d'un bleu limpide et profond semble suspendu aux morceaux blancs fibreux qui le traversent,
ça et là.
Les bâtisses ravalées se découpent dans le paysage,
les innombrables fenêtres qui donnent sur la place, les places, entre ouvertes, vitres réfléchissantes,
donnent le ton de la saison journalière.
La cité est calme, empreinte de silence.
Verticalité citadine,
niveaux aléatoires,
histogramme protéiforme ce quartier,
toitures plates,
déstructurées, pousses vertes en infiltration,
pendaison de linge et lampes de cuivre, lustrées, belles.
Les lignes horizontales des ruelles, multiples et changeantes,
sillonnent le village, créant des raies de lumière.
Ça et là.
Les petits bruits et sonorités sont moindres.
Aujourd'hui.
Un jour férié.
Au loin, un saxophone rompt la monotonie des martèlements habituels locaux,
Entrecoupé de verres entrechoqués, en terrasse, de chaises raclées, déplacées,
des pas des autochtones frôlant les gravas, enchaussés, sandalés.
Empoussiérés par cette pellicule blanchâtre qui recouvre le sol endormi des routes en friche.
Crissement des graviers, envolée de poussière,
Chaque passant a sa technique,
la marche sur espace modifié.
Esquiver les amas et monticules, sol mouvant,
Enjamber les pierres qui parsèment le sol,
le jardin ici est aride.
Lever les pieds à chaque petit pas en avant,
marcher la tête penchée, les yeux vissés au sol,
pour observer, ralentir le pas,
ou bien snober ces modifications terrestres,
maintenir de façon délibérée les pas quotidiens des chemins empruntés.
Cause de quotidienneté perturbée, maintenir les pas, traces prégnantes,
préhension de cet espace, de cet ensemble, en mutation.
Espoirs et craintes. Latence collective et attente appréhendée.
Et, le ginkgo est là,
il veille immobile,
ancré, rassurant.
Ses branches larges, épaissies par les années, aux veinures scarifiées marrons,
sont chargées de longues grappes lourdes de feuillettes vertes, foncées.
Le vent les fait frémir aux extrémités,
juste un p'tit peu, bruissement collectif, en chœur, puis repos.
Le ginkgo est le maître, protégé.
La palissade de planches qui entoure son tronc,
premier cercle protecteur,
fait armure.
La seconde, palissade, grillagée,
second cercle concentrique élargi,
délimite sa zone, son espace vital, au sol.
Chargé de terre, de copeaux, de brins clairs.
Les racines sont profondes et largement réparties en sous-sol,
venant sans doute frôler les restes archéologiques dénichés récemment,
aux abords des monuments gigantesques, érigés là.
Vestiges intacts de bâtisseurs anciens, la basilique et la flèche, symboles de l'ampleur architecturale locale.
La basilique chargée. Petits morceaux pierreux qui débordent.
Tableau contrasté avec le ciel,
Est-ce l'un ou l'autre qui embellit l'ensemble ?
Perceptible sur un temps dégagé.
En amont,
ses compagnons de route, au ginkgo,
lui font écho.
Se dressent alignés,
cinq guerriers, arc-boutés,
prévenants l'arrivée des bourrasques, du cours, plus haut.
Ils font écran. Et plus loin, un peu à part, le feuillus solitaire, surveille.
En aval, les fleuris.
Petits boutons roses délicatement accrochés aux branchettes,
encadrent les parties basses, noircies, de la basilique.
Verdure limitée, mais oxygénation nécessaire,
remplir les pores de la cité,
et des humanoïdes circulant, à la recherche du vert dans la ville,
délimité, aseptisé, au compte- gouttes.
Le vent souffle, encore, dans les bronches,
bronches encombrées,
de planches, de métaux, de pierres, de palettes,
matériaux divers enchevêtrés épars,
rendus dociles et praticables par les jouets, en place.
Tractopelles colorés, abandonnés là, sur l'aire de jeux,
déserte,
un chat errant traverse,
le temps d'un férié, le jour.
Un passant,
s'arrête,
achète son sandwich,
un pied dans la poussière,
l'autre sur la margelle en travaux,
conversation spontanée,
sur les probabilités d’élévation des sols,
prévention de la montée des eaux,
de potentielles crues garonnesques.
Prévoir un gilet,
au cas où.
Conseil avisé en ces temps fragiles.
Descendre l'allée, passer derrière la basilique,
la clôture en fer forgé qui l'entoure,
rouillée, interrompue.
Bientôt remplacée par une pimpante barricade.
Prévenir les envahissements et les hordes de badauds futures.
Préserver les jardinets environnants, trois, quatre.
Aux alentours,
Des devantures de commerces atypiques, dissociées.
Les couleurs, les stores, les vitrines
Disparité et diversité stimulantes de ce quartier.
Transformation des sols, modification de l'espace public,
Perturbations prévisibles.
L'âme.
Attention.
Aseptisation, uniformisation.
Étendards monochromes et mètre carré à l'envolée.
Prémices d'un lissage, d'une modification esthétique telle une pensée unique d'habillage urbain,
garantie d'une politique touristique plaquée, pour correspondre aux standards de villes déjà customisées.
Conserver, mettre en bocal ?
Les petites choses atypiques, d'ici.
Les particularités locales, pas de conservatisme,
simplement, préserver l'âme,
pour la dolce vita qui nous est si chère, ici.
Merci.
Stéphanie Michel. 8 mai 2014.
Poésie contextuelle.
In situ.
*rubande signalisation ou ruban de balisage ou rubalise ou parfois « ruban ferrari » ou « ruban dechantier » est un rubantextileaux couleurs vives servant principalement à la délimitationtemporaire de zones (chantier, secours, scènesde crime)ou de parcours.